Des lendemains incertains à Béjaïa

Fuente: 
El Watan
Fecha de publicación: 
07 Abr 2014

La population de Béjaïa s’est réveillée, hier matin, sur le décor désastreux d’une maison de la culture dévastée par la furie des manifestants de la veille. Hier matin, l’édifice était devenu le centre d’intérêt de dizaines de curieux.

Le désastre a arraché des larmes à quelques femmes qui découvrent des lieux qu’elles ne reconnaissent plus. La façade est calcinée. Depuis 2008, tout l’édifice a été recouvert d’aluminium dont le choix de la couleur bleue a fait grincer des dents. On y a vu un choix politique, la couleur se confondant avec le bleu des portraits du candidat Bouteflika. Depuis la fin de la journée cauchemardesque d’avant-hier, l’édifice trône au quartier d’Aâmriw avec le noir de la suie.

Les émeutiers l’ont ainsi «dé-bleui» en partie au moment où ils ont donné une peur bleue aux personnes qui étaient à l’intérieur des locaux, lorsque l’émeute battait son plein à l’extérieur avec l’apparition de cocktails Molotov dont un a eu raison d’un fourgon de la police. En fin de journée, des arrestations ont été opérées dans les rangs des manifestants. Douze personnes, dont trois adolescents, ont été arrêtées, selon une source policière qui assure qu’une cinquantaine de policiers ont été blessés. Au niveau de l’hôpital, on n’a enregistré que quatre évacuations.

Les dégâts matériels sont importants : on a saccagé ou emporté plus de 120 micro-ordinateurs, tout le matériel audiovisuel et de sonorisation, le mobilier, les ouvrages de la bibliothèque, les documents administratifs... Le salon d’honneur est parti en fumée, comme dévasté par un ouragan. Tous les ateliers ont été saccagés. Les deux salles de spectacle, dont celle devant abriter le meeting annulé de Sellal, sont restées indemnes. C’est la deuxième fois que cette infrastructure, baptisée par le mouvement citoyen du printemps noir du nom de Taos Amrouche, tombe, pour ainsi dire, dans le coma, après son incendie de 2001.
En faisant le bilan, Mme Gaoua, la directrice de la maison de la culture, ne cache pas son découragement. «C’est désolant !», nous dit-elle, debout au milieu des décombres.

Hier matin, il y avait aussi des flammes, mais c’étaient celles des chalumeaux des soudeurs condamnant les principales portes de l’établissement public, désormais fermé au public pour de longs mois. Seul un accès est resté non soudé. La DAS a chargé, en fin de journée d’hier, des équipes de Blanche Algérie de nettoyer les lieux. «D’ici demain (aujourd’hui), tout sera déblayé» nous dit on.
Les séquelles de l’émeute de la veille sont aussi visibles sur l’esplanade, jonchée de débris de matériels calcinés et de bouts de papier volants. «Si nous commençons tout de suite les travaux, nous en avons pour au moins six mois», estime Khellaf Righi, le directeur de la culture de la wilaya, rencontré sur les lieux où se trouvait aussi le wali, venu constater les dégâts. Pour Mme Gaoua, ces dégâts ne sauraient descendre sous la barre des «10 milliards de centimes».

Dans la rue, l’incompréhension est mêlée à la désolation. A la colère aussi. «Comment en est-on arrivé là ?», se demande-t-on. «La maison de la culture doit être laissée pour la culture, qu’on n’y organise pas de meetings politiques», estime un jeune citoyen rencontré hier sur les lieux. Au même moment, une voix rapporte au téléphone d’un confrère que Abdelmalek Sellal vient d’annoncer à Tizi Ouzou, où il a réussi à tenir son meeting de campagne, que «l’Etat reconstruira la maison de la culture de Béjaïa et en mieux». L’information réjouit les responsables du secteur à Béjaïa qui se la répercutent aussitôt.«Sommes-nous condamnés à revivre à chaque fois ces scènes de saccage, à tourner en rond ?» se demande un citoyen, visiblement irrité. «Quelle catastrophe !» s’est exclamé, la veille, un militant politique émargeant dans le Mouvement pour le changement (MPC) à la découverte de la maison de la culture en feu.

Les animateurs de ce mouvement disent n’avoir pas appelé à la protestation du 5 avril. «Le Mouvement pour le changement qui incarne les valeurs républicaines ne peut être un front contre la tenue du scrutin et ne peut être en porte-à-faux avec les idéaux démocratiques qui respectent les libertés individuelles et collectives», a écrit le MPC, au lendemain de sa marche organisée le 2 avril avec le mouvement Barakat. Même appel à rester pacifiques pour Barakat. «Ne répondez pas à la provocation, nous sommes pacifiques», n’a cessé de lancer Achour, animateur local de ce mouvement, dans un mégaphone avant l’éclatement de l’émeute devant la maison de la culture.

La protestation a, pour rappel, démarré vers 10h sous des mots d’ordre hostiles au pouvoir et contre l’élection. La dégénérescence, deux heures plus tard, de la situation a fait disparaître les animateurs des deux mouvements, préférant se retirer des lieux, avons-nous constater, pour se démarquer de la tournure des événements. Le terrain a été occupé par des jeunes des quartiers de la ville résolus à en découdre avec les forces de l’ordre. D’aucuns estiment que les organisateurs auraient dû annoncer l’annulation du meeting de Sellal avant que la foule ne grossisse et que la tension ne s’exacerbe.

L’incendie de la maison de la culture, dénoncé dans des communiqués, par le patronat et le FLN, met en tout cas hors d’usage le plus important site retenu pour la campagne électorale dans la ville de Béjaïa. Les programmes des directions locales des candidats en lice sont ainsi chamboulés. Louisa Hanoune, Ali Benflis, et Ahmed Ouyahia étaient programmés, pour cette semaine, dans la grande salle de spectacles de la maison de la culture qui ne pourra pas les accueillir. Il faudra, désormais, leur trouver une autre salle. Du moins pour ceux qui maintiennent leur meeting parce que les manifestants de ce samedi ont crié leur détermination à réoccuper le terrain pour revendiquer le changement, sans se départir, insistent-ils, du caractère pacifique de leur action.

Le rejet de l’élection qui s’exprime, cependant, dans la rue bougiote n’est pas sans s’accompagner d’un climat de tension qui demeure dans l’air. Ceci est suffisant pour faire des jours restants de cette campagne électorale et de celui du vote des lendemains incertains à Béjaïa.

 

 

 

Autor: Kamel Medjdoub

Source/Fuente: http://www.elwatan.com/actualite/des-lendemains-incertains-a-bejaia-07-0...