La société civile et les partis politiques s’y mettent

Fuente: 
La Presse
Fecha de publicación: 
02 Feb 2013

Chaque jour, de nouveaux sit-inneurs viennent se joindre à ceux déjà installés à la place de La Kasbah et depuis 16 jours. Le sit-in, dont les participants ne sont que d’anciens prisonniers politiques et des membres de leurs familles, a connu hier la formation d’un comité de soutien regroupant des hommes politiques, des représentants de la société civile et des personnalités nationales dont des artistes et autres. La principale et quasi unique revendication de ce sit-in est celle de l’activation de l’amnistie générale décrétée par le décret de février 2011. «Joumoâtou Assoumoud  (le vendredi de la résistance) pour la réalisation des objectifs de la révolution=activation de l’amnistie générale est un droit et non pas une faveur !», tels sont les slogans qui ont été inscrits sur plusieurs banderoles à la place de La Kasbah où les sit-inneurs se sont réservé un coin juste à côté de l’hôpital  Aziza-Othmana, préférant ne pas encombrer la place.

Un comité de soutien vient d’être formé pour faire pression sur le gouvernement afin d’accélérer l’activation de l’amnistie générale pour que le dédommagement et la  réhabilitation soient effectifs.

 

 

 

Un dossier à éloigner des tiraillements

«Aujourd’hui, nous avons reçu le Comité national de soutien des sit-inneurs à La  Kasbah que plusieurs partis politiques, associations de la société civile ainsi que des personnalités nationales viennent de constituer», a  affirmé Ferid Khadouma, responsable de la commission médias au sein du comité d’organisation du sit-in. Selon lui, ce comité  va soutenir la revendication des anciens prisonniers politiques et de leurs familles en mettant la pression sur le gouvernement dans  le but d’éloigner ce dossier d’activation de  l’amnistie générale de tout tiraillement, notamment politique.
«Ce sont des gens qui ont été emprisonnés à un jeune âge et qui n’ont pas été réhabilités ou réintégrés dans la société. La  réhabilitation est un droit dont ils doivent bénéficier tout comme la reconnaissance de leur militantisme quelle que soit leur appartenance idéologique. Ici, on a des youssefistes emprisonnés pendant les années 60, le groupe des incidents de Gafsa emprisonné en 1980, ceux des événements «du pain» de janvier 1984, des gens de  gauche et d’autres islamistes», a ajouté Khadouma. D’après lui, le gouvernement actuel ne s’est manifesté qu’une seule fois depuis 16 jours de sit-in. «C’est qu’il nous a accordé une séance d’écoute mercredi dernier. Depuis, rien n’a été fait, sauf que le ministre des Droits de l’Homme et de la Justice transitionnelle, Samir Dilou, a déclaré à l’un des médias qu’il n’y avait pas de solution et qu’il ne disposait pas de mécanismes pour activer ledit décret ni cette année, ni l’an prochain», a conclu le membre du comité d’organisation du sit-in.

Des séquelles inguérissables

Alors que le lieu du sit-in connaissait une activité croissante, avec notamment la présence de militants des droits de l’Homme ou d’artistes, quelques centaines de gens se sont rassemblés vers 12h30 sur l’esplanade de La Kasbah où ils ont fait la prière du vendredi. L’imam, portant un survêtement, a affirmé qu’il porte les habits qu’il portait en prison pour rappeler aux gens que les prisonniers politiques ont souffert de la torture des décennies dans les prisons.
Entouré d’un groupe de jeunes et moins jeunes, Kaddour Ben Youchrett, l’un des youssefistes natif de 1930 à Bizerte, diabétique, dont seuls le regard et la voix restent encore intacts, racontait des histoires des années d’emprisonnement. «C’est à la fin de 1962 que j’étais mis en prison. J’étais le dernier de ceux qui ont été accusés de complot contre la sûreté de l’Etat. J’ai passé deux ans et huit mois au fort de Ghar El Melh puis huit ans et quatre moins à la prison de Borj Erroumi.
Nous étions quelque 35 prisonniers. J’étais le 3e accusé  du groupe après feu Abdelaziz Akremi et Mohamed Hédi Gafsi», racontait-il en s’étalant sur la description des faits avant de rebondir  sur un débat télévisé sur les prisonniers politiques qu’il a mal digéré.
«Nous appelons à ce que l’amnistie générale soit activée. Rendez-nous nos droits pour que nous profitions de cette réhabilitation avant de mourir ! Je suis encore locataire et je ne dispose pas de tous les services requis d’un habitat digne. Nous avons sacrifié nos vie et nos biens ! Nous voulons que justice soit rendue», a-t-il conclu sur un ton grave.
Pour sa part, Salwa Souissi, native de 1971 à Jendouba, a affirmé qu’elle était chef de service dans une société étrangère avant qu’elle ne soit arrêtée en 1992 pour appartenance à une association non autorisée (islamiste).
«Cette arrestation a influé sur ma vie privée et professionnelle. Ils m’ont menacée par tous les moyens pour que  je divorce de mon mari qui était accusé et emprisonné pour son appartenance aux islamistes de 1990 à 2004. Ma fille a été affectée par cette ambiance de terreur au point qu’elle est devenue complexée et j’ai dû l’amener chez un psychiatre mais en vain. La réhabilitation, qui est notre droit, ne pourra jamais guérir nos maux et nos souffrances. Notre jeunesse, nous l’avons passée en prison», a-t-elle ajouté, ameré.

Histoire et sacrifices

A côté d’elle, Noura Maddouri, de la même région, (Jendouba), a indiqué qu’elle a été arrêtée en 1991 pour les mêmes raisons. «J’ai passé sept ans sous ce qu’ils appellent contrôle administratif. Trois jours par semaine, je passais à deux postes de police pour signer ma présence. Cela a affecté ma vie et celle de ma famille qui était terrorisée de temps à autre par l’intrusion des policiers en pleine nuit qui venaient fouiller la maison pour une raison ou une autre. J’étais encore élève et on  m’a renvoyée de tous les établissements scolaires. Ma vie a été gâchée. Mon frère et mon beau-frère ont été aussi condamnés. Mon frère s’était enfui alors que mon beau-frère a été emprisonné durant onze ans», a-t-elle ajouté, les larmes aux yeux.
Selon Kaouthar Arfaoui, l’une des manifestantes, ce sit-in est une manière de revendiquer un droit que le peuple tunisien doit lui-même assurer par respect pour le militantisme des gens qui se sont sacrifiés pour la patrie, loin de tous les tiraillements politiques ou idéologiques actuels. «Ce sont des gens qui ont perdu plusieurs choses durant leur vie. Il faut leur rendre un peu de ce qu’ils ont sacrifié pour la Tunisie. Qu’ils soient des islamistes ou de la gauche ou autres, cela importe peu. Tôt ou tard, l’histoire va leur rendre justice», a-t-elle conclu.

Nizar Hajbi

http://www.lapresse.tn/02022013/62057/la-societe-civile-et-les-partis-politiques-sy-mettent.html