Élections le 10 décembre: une date, de l’optimisme et encore beaucoup de questions

Source: 
Jeune Afrique
Publication date: 
May 29 2018

Les principaux acteurs politiques libyens se sont engagés mardi 29 mai, à Paris, à assurer l'organisation d'élections présidentielle et législatives le 10 décembre 2018. Bien que nombre de questions restent en suspens sur ce document qui n'a pas encore été paraphé, le ton était à l'optimisme à l'issue de la rencontre.

S’il y a une chose à retenir de cette intense journée de discussions, c’est une date : le 10 décembre 2018. Lors de la rencontre, dont JA avait annoncé la tenue dès le 25 mai, les quatre principaux acteurs de la crise politico-militaire libyenne – le maréchal Khalifa Haftar, le Premier ministre Fayez al-Sarraj, venu avec son ministre des Affaires étrangères Mohamed Taha Siala, le président du Parlement Aguila Salah Issa et le président du Haut Conseil d’État Khaled Al-Mishri – se sont engagés à ce que l’élection présidentielle et les législatives aient lieu à cette date-là.

Une déclaration, pas de signature

Arrivés dans la matinée à l’Élysée, les quatre personnalités libyennes ont discuté entourées de 19 représentants de pays africains, européens et arabes, parmi lesquels le président du Niger, Mahamadou Issoufou, de la Tunisie, Béji Caïd Essebsi, et du Tchad, Idriss Déby Itno. Étaient également présents Ghassan Salamé, chef de la mission onusienne en Libye, et Denis Sassou Nguesso, président congolais, qui est en charge du dossier libyen pour l’Union africaine.

Sous les noms des quatre hommes, un espace blanc

Cette rencontre parisienne, encadrée par des institutions internationales et reposant sur la présence d’acteurs à légitimité forte, intervient une quinzaine de jours après la rencontre organisée à Dakar par la Fondation de Brazzaville présidée par Jean-Yves Ollivier. Celle-ci avait rassemblé de nombreuses figures influentes, mais moins considérées dans les chancelleries.

Leur engagement, les quatre libyens l’ont couché sur papier : un document lu à la presse en arabe et traduit en français, qui insiste notamment, outre l’adoption d’un calendrier pour l’organisation d’élections, sur « le besoin d’unifier les institutions », et en premier lieu la Banque centrale.

La déclaration, toutefois, n’est pas encore signée. Sous les noms des quatre hommes, un espace blanc : chacun veut pouvoir le présenter à ses mandants ou son clan en Libye avant de le parapher. Le président français, Emmanuel Macron, qui reprend ici la main sur le dossier libyen, a préféré insister sur l’aspect inédit d’une telle rencontre.

Une date et des options

D’ici à la date proposée pour l’organisation des élections, Ghassan Salamé et les différentes parties libyennes auront du pain sur la planche. Ils se sont donc donnés une date à mi-parcours : le 16 septembre. D’ici là, ils doivent offrir à la Libye un cadre légal satisfaisant pour la tenue des deux scrutins prévus.

Plusieurs options sont sur la table. La première : se baser sur la Constitution existante et adopter une loi électorale qui y réponde. Autre possibilité, l’adoption par référendum du projet de Constitution actuellement en cours de rédaction, avant la tenue des élections. Un scénario qui aurait les grâces de l’Union africaine, mais aussi des Frères musulmans libyens, ainsi que de Khaled Al-Mishri.

Mais Emmanuel Macron n’a pas caché que, pour Paris, la tâche paraît ardue. Il y a aussi le projet de Constitution adopté par une Constituante à la légitimité bien fragile, en juillet 2017, et qu’a rejeté la Chambre des représentants, mais que Salamé semble cependant prendre en considération.

Quoiqu’il en soit, les Libyens devront gérer avec un rythme qui peut encore s’avérer détonnant : les élections pourraient bien avoir lieu avant l’adoption d’une loi suprême définissant le rôle et les prérogatives des personnes appelées à être élues. La loi électorale, elle, devra statuer sur plusieurs points tout à fait épineux ; un militaire pourra-t-il se présenter ? Les personnes en charge d’organiser le scrutin pourront-elles participer ?

Un chemin semé d’embûches

Réussite ou effet d’annonce ? Il est vrai, comme s’en est félicité avec insistance le président français, que rarement autant d’acteurs avaient pu discuter autour d’une même table. Néanmoins, aucun n’était un inconnu pour l’autre. À la fin du mois d’avril dernier, Khaled Al-Mishri et Aguila Salah Issa s’entretenaient ainsi déjà à Rabat, sous les auspices du ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, présent à Paris mardi.

Il n’en demeure pas moins que les inconnues restent nombreuses. Au premier rang desquelles, la réaction des différentes factions armées libyennes, pas toutes représentées à Paris, même si certains étaient présentes à la réunion, telles que des milices de Zintan et de Misrata. Certaines semblent fermement opposées à tout progrès concernant la tenue d’un scrutin. Pour preuve, le 2 mai, un attentat revendiqué par l’organisation État islamique avait frappé le siège de la Haute Commission électorale libyenne.

En amont de la rencontre, l’Élysée avait balayé d’un revers de la main un communiqué présenté comme émanant de « milices de l’Ouest libyen » et rejetant la réunion : un faux, selon Paris. La thèse avancée par la diplomatie française est que les Libyens opposés au processus électoral sont « très minoritaires ».

Négocier via des personnalités, sans bâtir un consensus plus large, a toutes les chances d’être contre-productif

L’ONG britannique International Crisis Group craint d’ailleurs que « négocier via des personnalités sans bâtir un consensus plus large au sein du paysage politique et militaire a toutes les chances d’être contre-productif », et rappelle que « par le passé, cette approche a fait entrave aux efforts de paix, et la France est bien placée pour le savoir : une rencontre entre Sarraj et Haftar en juillet 2017, accueillie par Macron, a donné lieu à une séance photo, mais les deux hommes sont vite revenus sur la plupart de leurs engagements. »

Un avis visiblement partagé par Ghassan Salamé, qui ne s’est pas un instant départi d’un sourire optimiste lors de la conférence de presse. À l’issue de la lecture de la déclaration, le représentant du secrétaire général des Nations unies a assuré que les inscriptions sur les listes électorales avaient fait un bond, ces trois derniers mois : 54 % environ des Libyens en âge de voter seraient maintenant inscrits, contre environ 31 % au début de l’année.

Quant à l’aspect coercitif, il n’est encore qu’ébauché. Si l’accord pointe du doigt ceux qui pourraient vouloir s’en prendre au processus électoral, il ne les menace cependant pas vraiment et ne prévoit pas de sanctions précises à leur encontre.

Paris se replace au centre

Pour le président français, la Libye est directement liée au brûlant sujet de la migration

La rencontre a aussi été l’occasion pour les partenaires internationaux de se parler et – peut-être – d’accorder leurs violons. Le président français a notamment insisté sur le rôle positif de l’Italie et le poids supporté par cette dernière. Chacun sait, à l’Élysée, que Paris et Rome n’ont pas vraiment marché d’un pas uni sur le dossier libyen.

Malgré un contexte particulièrement complexe, Emmanuel Macron – qui a plusieurs fois remis en cause l’opportunité de l’intervention occidentale, et notamment française, en Libye – a prouvé que la France avait toujours la main en Libye, au moins sur le plan diplomatique. Mieux : la veille encore de la réunion, les chevilles ouvrières de la diplomatie française ne pariaient pas sur l’arrêt d’une date précise.

Pour le président français, la Libye est enfin directement liée au brûlant sujet de la migration. Les autorités françaises estiment qu’entre un demi-million et 800 000 personnes attendent, en Libye, l’occasion de traverser la Méditerranée pour rejoindre les côtes européennes. L’Europe, qui a déjà sous-traité une partie de la gestion des flux migratoires aux gardes-côtes libyens, a donc un intérêt bien compris à obtenir une stabilisation du pays.

Jules Crétois

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