Mohcine Belabbas : « La justice devait se saisir après les accusations de Saâdani contre le général Toufik »

Source: 
Tout sur l´Algérie
Publication date: 
Oct 16 2016

 

À quoi sert-il de participer à des élections alors que vous êtes convaincus qu´elles seront truquées?

Au RCD et au niveau de l’ensemble des partis politiques algériens, on dénonce les fraudes électorales depuis l’avènement du multipartisme. Même des responsables politiques en place ont dénoncé les fraudes électorales. On se souvient du chef de l’État qui avait déclaré, à l’occasion d’un discours à la nation en 2011, que toutes les élections organisées en Algérie étaient des élections à la Naegelen. Par le passé, on a essayé (en participant) de peser pour réduire l’ampleur de la fraude et d’avoir le maximum de garanties. C’est ce qui explique le fait que la loi électorale ait été révisée à plusieurs reprises. Le pouvoir a cédé sur un certain nombre de demandes même si cela reste insuffisant. Je vous rappelle aussi qu’il est connu qu’un parti politique est fait pour participer à des compétitions électorales. Il arrive qu’un parti décide de boycotter. Mais c’est une exception et non pas la règle. À chaque fois qu’on a boycotté une élection, il y avait une conjoncture particulière.

Vous avez justement boycotté les élections de 2012. Qu’est ce qui a changé depuis quatre ans ?

En 2012 par exemple, nous avons essayé d’exploiter une conjoncture politique faite de révolte populaire et de mobilisation de la société civile. L’objectif était de peser en vue d’un changement profond. Cela n’a pas été le cas d’autant plus que les acteurs de l’opposition de l’époque n’ont pas joué le jeu. Cette mobilisation de 2011 et 2012 a contraint le pouvoir à opérer un certain nombre de réformes et de promettre une révision de la Constitution. Comme on l’avait prédit, ces réformes n’ont finalement pas répondu aux attentes des Algériens et ont même consacré des régressions. Mais depuis 2012, il y a eu une évolution. Le RCD a essayé de rallier à ses positions le maximum d’acteurs politiques de l’opposition sur des propositions concrètes notamment sur l’idée d’une instance nationale pour la gestion des élections qui est devenue une revendication essentielle de l’ensemble de l’opposition.

Le problème de manque de transparence demeure-t-il entier pour vous ?

Certes, la transparence n’est pas encore garantie. Cependant, nous n’avons jamais boycotté une élection juste pour une question de transparence des élections. Nous savons pertinemment que les élections ne seront pas transparentes à court terme parce qu’on a des étapes à passer pour faire avancer le combat. Et je pense que nous avons déjà fait avancer le combat sur beaucoup de questions. Un parti politique essaie d’exploiter une conjoncture politique pour peser sur le cours des événements. Ça ne sert à rien de rester sur une position en sachant qu’elle n’est pas rentable sur le plan politique. Au RCD, il y a un capital militant très important qui s’est renforcé depuis 2012 notamment à travers une aile jeunesse et une aile féminine. Ces militants sont très présents sur le terrain et sont déjà opérationnels. Ils veulent aller vers des compétitions et se battre contre les fraudes électorales et les dérapages de l’administration. Il y a eu un débat permanent au sein du RCD autour des élections. C’est ce qui a facilité la prise de décision lors du dernier conseil national. Ce n’était pas une décision par consensus et elle n’a pas été prise à l’unanimité. Il y a eu un vote.

Un boycott de toute l’opposition ne pouvait-il pas être très rentable sur le plan politique ?

Évidemment, un boycott de toute l’opposition pouvait peser sur le cours des événements. D’ailleurs, c’est ce que nous avons préconisé dès le mois de mai dernier en disant que la meilleure position pour l’opposition est un boycott collectif afin de contraindre le pouvoir à revoir sa démarche et donner un peu plus de garanties, voire engager des discussions avec l’opposition. Car c’est vraiment difficile de se permettre une élection qui est boycottée par l’ensemble de l’opposition. Et quand je parle de l’opposition, je ne cible pas seulement les partis politiques qui sont dans l’Instance de concertation et de suivi (Icso), il y a aussi les autres. Il se trouve que ce consensus n’a pas été construit.

Pourquoi ?

Chaque parti politique, et c’est de son droit, avait sa propre analyse de la situation et sa propre projection sur la base d’une réelle étude de terrain. À présent, il est confirmé que le pouvoir veut aller vers un système bipartite. C’est ce que nous avons compris à travers la nouvelle loi électorale qui complique davantage le travail de l’opposition. C’est la première fois que le pouvoir met en place une loi qui encourage les partis politiques à boycotter. Auparavant, on n’exigeait pas d’un parti politique d’avoir 4% (lors de la précédente élection) ou dix élus pour participer aux élections en prenant comme référence la dernière élection.

Ne constitue-t-elle pas une bonne mesure qui permettrait d’écarter les partis qui n’ont finalement aucune base militante ?

Le problème qui se pose avec la nouvelle loi est de prendre comme référence des élections truquées. S’il s’agissait d’une élection transparente organisée par une instance indépendante, le problème ne se poserait pas. Ils n’ont même pas fait l’effort de prendre comme référence les trois dernières élections comme cela a été le cas de la loi de Noureddine Zerhouni en 2007. En tout cas, il est clair qu’ils encouragent les partis politiques à boycotter. Nous sommes dans une tentative de concrétisation d’une démarche voulue par le chef de l’État depuis le début des années 2000 quand il avait dit qu’il faut aller vers un système bipartite (FLN-RND).

À quoi sert encore l’Icso si elle est incapable de permettre ce genre de consensus sur une question aussi importante ?

D’abord, l’Instance est formée d’un ensemble de partis politiques qui a boycotté l’élection présidentielle et d’un autre ensemble qui a participé à ces élections. Dès le départ, l’enjeu ce n’était pas d’avoir la même position par rapport aux élections. L’enjeu était se mettre d’accord autour d’un projet, de faire la promotion de sa plateforme et d’essayer de construire un rapport de force. En partie, les objectifs tracés pour cette instance ont été atteints. La plateforme existe. Nous ne sommes pas parvenus à construire ce rapport de force qui nous permette de peser pour contraindre le pouvoir à venir discuter, cela aussi est un fait. Cela ne veut pas dire qu’on n’a pas essayé de le faire.

Et puis, je ne crois pas que l’élection législative est un événement extraordinaire dans la vie d’une nation. Certes, c’est une compétition électorale à travers laquelle on élit les représentants du peuple. Sauf que dans notre pays, ce vote n’est pas transparent. Je rappelle aussi que nous ne sommes pas dans une situation où la majorité pèse dans le choix du Premier ministre. Chez nous, l’Assemblée populaire nationale valide des lois venues d’en haut. La majorité qui sera issue de l’élection ne pourra pas gérer avec son propre programme puisque la constitution dispose que le Premier ministre présente un plan d’action du programme du chef de l’État. Donc ce n’est pas vraiment une élection importante. Et puis, l’approche diffère d’un parti à un autre. Pour certains, une élection est toujours une occasion pour aller à la rencontre du citoyen puisque nous sommes dans un pays où quand un parti boycott, il n’a pas le droit de réserver des salles. D’autres estiment qu’il y a toujours possibilité d’exploiter la campagne et puis notre présence à l’assemblée pour faire la promotion du projet de la transition démocratique.

Le cabinet du président de la République a envoyé un courrier pour des consultations en vue de désigner Abdelwahab Derbal à la tête de l’Instance de surveillance des élections. Quelle a été votre réponse ?

Notre réponse est connue par le pouvoir et l’opinion publique puisqu’elle se trouve dans nos propositions. Notre parti a fait une offre politique très claire pour une nouvelle gestion électorale. Il s’agissait d’institutionnaliser une instance indépendante de gestion des élections et une instance d’observation des élections pilotée par des acteurs de la société civile. Cela n’a pas été le cas. L’instance de surveillance des élections n’est pas une nouveauté. Elle est même moins importante que celle qui existait dans le passé et qui était formée par des représentants de partis politiques

Ensuite, je ne vois pas comment on peut donner de la crédibilité à une instance dont le chef désigné est un ancien membre de l’exécutif et ancien conseiller du chef de l’État. Même si le choix de la personnalité n’est pas très important en soi. Des personnalités crédibles ont été désignées par le passé à la tête de l’instance et certaines ont même dénoncé la fraude électorale sans être entendues par la justice ou par le conseil constitutionnel. Aujourd’hui, tous les membres de l’instance sont désignés dans cette instance qui ne jouit d’aucune autonomie financière. En termes de délais, nous sommes déjà en retard.

Amar Saâdani a formulé de graves accusations contre le général Toufik notamment en ce qui concerne les émeutes à Ghardaïa où des militants du parti sont toujours détenus…

 

De tout temps, les hommes du système algérien se sont affrontés par un discours violent et même très violent. Ces dernières années, ces discours sont plus médiatiques puisqu’il y a des chaînes de télévision privées et les réseaux sociaux. La nouveauté est que les institutions notamment la justice ne se saisissent pas parce qu’il y a des propos graves avancés par ce responsable politique. La justice devait se saisir de ce dossier parce qu’il y a des citoyens et des militants emprisonnés dans la wilaya de Ghardaïa. Nous avons le droit de penser que ces militants ont été utilisés comme des boucs émissaires et c’est le cas. Ils croupissent dans des prisons depuis plus de deux ans. À ce jour, il n’y a pas eu de jugement.

Auteur :Hadjer Guenanfa. Entretien à Mohcine Belabbas

Source :http://www.tsa-algerie.com/20161016/mohcine-belabbas-justice-devait-se-s...